Encore une histoire de goûts et de couleurs !
Dans un article récent, j’abordais la coloration des maisons alsaciennes. Sujet sensible à en croire selon certains commentaires reçus.
A ce propos, j’aimerai apporter quelques précisions car il semble que la question partage encore les opinions quant à l’explication des couleurs vives des façades des maisons traditionnelles d’Alsace.
Affirmer une chose et en apporter les preuves semble tout de même rencontrer quelques difficultés.
Le problème majeur auquel on se trouve confronté est lié au facteur temps.
En effet plusieurs siècles nous séparent de l’époque de la construction de ces maisons. Déterminer les couleurs utilisées se heurte à plusieurs difficultés. La première étant liée aux nombreuses destructions dues aux guerres et incendies qui en ont certainement modifié l’apparence. Une autre raison est à rechercher dans le rapport entre l’homme et les couleurs.
Les questions de colorations ont toujours été l’objet de nombreux débats.
Je renvoie les lecteurs à l’ouvrage « Bibliothèque de l’École des chartes » Année 1989 147 pp. 203-230 et notamment l’article de Michel Pastoureau « L’Eglise et la couleur, des origines à la Réforme ». Il déclare notamment :
« Ce n’est qu’à l’époque la plus contemporaine que les hommes de science ont pris l’habitude (pour combien de temps ?) de définir la couleur comme une sensation, la sensation d’un élément coloré par une lumière qui l’éclairé, reçue par l’oeil et transmise au cerveau. Peut-on écrire l’histoire d’une sensation ? Apparemment non puisque jusqu’à présent aucun historien n’a tenté de le faire. Seuls quelques philologues et quelques rares historiens de la peinture ont essayé, dans leur domaine propre, d’étudier tel problème lexical, artistique ou pigmentaire, lié à l’emploi des couleurs par un individu, un milieu, une époque ou une société donnée. Mais aucun chercheur ne s’est encore risqué à construire une synthèse sur l’histoire des rapports entre l’homme et les couleurs, tous problèmes et toutes disciplines confondus. Peut-être une telle entreprise est- elle quelque peu utopique ? »
Et les couleurs des façades alsaciennes ? C’était toujours aussi coloré ? Pas facile de répondre.
Face aux nombreuses interrogations que suscitent les couleurs de nos façades, le livre du professeur d’Arts Plastiques Denis Steinmetz paru aux Presses Universitaires de Strasbourg en 2004 et intitulé « La coloration des façades en Alsace » propose une autre approche historique :
« La colorisation des façades à proprement parler, c’est-à-dire la mise en couleur de l’ensemble des enduits d’une façade autrement qu’en ocre ou en blanc, n’apparaît donc qu’avec l’industrialisation et le développement de la chimie moderne. En effet, ce n’est qu’au cours et surtout à la fin du XIXe siècle que la production de la couleur pourra se faire en quantité suffisante et à un prix abordable. Alors de grâce, cessons de raconter qu’il s’agit de couleurs liées à des corporations ou à des religions. Ces explications certes charmantes sont dénuées de fondements historiques, à ce jour, aucune étude historique ou aucun texte ne peut le prouver ».
L’argumentation est intéressante, mais est-elle suffisante ?
Pourquoi de nombreuses personnes restent-elles attachées à l’idée d’une classification liée à un code de couleurs ?
Revenons à l’Eglise, pour qui « la couleur est d’abord un enjeu théologique. Nombreux sont les Pères qui en parlent et, à leur suite, la plupart des théologiens. Ce sont eux les « spécialistes » de la couleur. Sous leur plume, elle revient fréquemment, soit sous forme de métaphore, soit sous forme d’étiquette (pour tout auteur, la couleur c’est souvent ce qui sert à classer, à distinguer, à hiérarchiser, à créer des articulations et des systèmes), soit surtout parce qu’elle pose un problème de fond, lié à la physique et à la métaphysique de la lumière, et donc à la relation que l’homme d’ici-bas entretient avec le divin ».
Il est donc inévitable que certains transposent la couleur comme élément de classification et de hiérarchisation. C’est peut-être ce qui explique les interprétations adoptées par certains quant à la coloration des maisons.
Trop peu d’études sont disponibles tant le sujet est vaste. Alors même si certaines hypothèses semblent séduisantes, attendons davantage de précisions de la part de nos spécialistes de l’histoire pour nous éclairer sur cette question.
Je rejoins pour conclure André HUGEL qui écrivait à propos de la couleurs des maisons : « Il y a aussi les litiges à propos des couleurs employées pour les façades des immeubles rénovés, mais cela est moins grave car d’ici 20 ou 30 ans, elles seront repeintes et le mal pourra être réparé si mal il y avait ».
(Revue éditée pour le Centenaire de la Société d’archéologie de Riquewihr – un siècle au service de la conservation du patrimoine, 1898-1998).